23.6.10

 

re-lecture

L’ORGANuGAMME :
un mot pour un art

L’ORGANuGAMME est un mot-valise inventé par Danielle Jacqui. Il est le titre d’une exposition présentée au Musée International d’Art Naïf Anatole Jakovsky (Nice).
Mais aussi le mot ORGANuGAMME désigne à la fois un principe de création, l’ensemble d’œuvres résultantes de ce principe et encore l’auteur ou la source de ces œuvres. L’ORGANuGAMME est une forme de vie humaine. Danielle Jacqui a déjà rendu compte des racines de ce mot baroque et exposé toute la charge déposée dans sa graphie et sa composition . L’objet du texte qui suit est de développer quelques ramifications significatives pour étayer ses intentions et en préciser un caractère conceptuel, parmi d’autres déjà existants et d’autres encore possibles.
L’ORGANuGAMME est un sujet vivant, organique, organisé, il est un organisme. Il suit sa propre fin en tant que totalité et unité. Tout ce qu’il fait est orienté vers sa propre existence. Il s’autoproduit. Son activité ne réalise pas de fins extérieures à lui-même. Cette autoproduction est inséparable de son milieu. L’organisme poursuit sa propre fin en s’adaptant en permanence au milieu où il vit et à ses changements. Le monde extérieur est un contenu sans limite dans lequel l’organisme sélectionne ce qui permettra son développement.
L’ ORGANuGAMME est inséré dans un champs de forces multiples qui le dépassent et qui le portent, comme le courant d’une rivière entoure le poisson. Ce sont les autres, ses proches, son lieu de vie et ses déterminations corporelles ou psychiques.
Si le travailleur n’est qu’organe, l’ ORGANuGAMME est organisme, et plus encore. En général, le monde des organismes est limité aux caractères propres à une espèce (Chaque être vivant a un monde en fonction de son espèce), l’ORGANuGAMME possède plus de possibilités pour s’accorder au monde. Il est autonome mais il est aussi gamme, capable de saisir la pluralité et la diversité de la réalité. L’ORGANuGAMME se décline, se multiplie, se différencie, s’adapte et adapte, et se construit de façon inattendue, et crée ce cas physique que l’on appelle singularité.
Dans cette activité productive de soi propre à l’être vivant, la partie la plus vive est de « penser soi-même son propre habitat ». L’habitat est l’interface entre le monde et le sujet. L’ORGANuGAMME ne peut pas habiter n’importe où. Il est nécessairement architecte et s’incorpore dans son mobilier. Car les identités des habitats proposés par la société ne lui conviennent pas. Dans un espace sans ses représentations, il croirait habiter la vie d’un autre. « J’ai tout fabriqué moi-même » dit Danielle Jacqui.
D’ailleurs, l’ ORGANuGAMME tente aussi de réaliser aussi sa mort. Il fabrique sa forme avec autant de souci que s’il s’agissait de sa vie.
Mais si l’ORGANuGAMME est d’abord organisme, il peut d’une certaine façon être aussi organe de la société, organe non au sens où il exécuterait mais au sens où, sous cet angle, il ne serait qu’une partie (et non une totalité). Sans l’ORGANuGAMME, la société ne serait même pas une fourmilière, mais une addition de parties, sans histoire, ni changements. L’ORGANuGAMME, par sa déclinaison, son imprévu permet de situer la société sur le fil du temps et de lui indiquer que le caractère principal du futur est l’inconnu. L’ORGANuGAMME est l’organe du temps, il fabrique du futur. Le travail lui, ne vit que dans le passé, fait, refait, et porte l’uniforme.
Les traits de cet artiste qu’est l’ORGANuGAMME, le rendent donc étrange et il en subira quelques fâcheuses conséquences.
Tout d’abord l’ORGANuGAMME ne pourra jamais accéder au savoir-faire. Il n’est qu’un faire, primitif et nu. Ses oeuvres sont sans savoir, c’est l’activité elle-même qui produit son faire, intransmissible. A l’opposé, le savoir-faire est nécessairement coutumier,répétitif, il peut s’objectiver et se répandre en éducation.
L’ORGANuGAMME suit ce précepte : « Mets-toi en situation du premier homme. Déshabille toi de tout le poids de la culture . » Chair palpitante, coeur à vif, l’ORGANuGAMME agit dans un acte pur, spontané pour construire la peau qui recouvre à chaque instant le dénuement de son être. L’ORGANuGAMME est étranger à l’histoire de l’art e. L’ORGANuGAMME est un être dont l’existence ne peut être séparée de son œuvre. Il ne suffit pas de produire pour être, il faut que la création soit création de soi. Par nature, il essaie d’échapper aux conditions sociales qui formeraient son œuvre.
Mais cela n’est pas métaphysiquement inquiétant, « Une chose peut être utile et produit du travail humain, sans être une marchandise. » disait Marx. Et si l’ORGANuGAMME est invendable comme l’a exprimé Danielle Jacqui : « On me disait c’est bien, mais ce n’est pas commercial. ! Et lorsque des commerçants ont commencé de s’en intéresser, ils prétendaient utiliser une série, qui paraissait plus commerciale, tentant de me soumettre à cette production en exclusivité dans mon travail et pour eux-mêmes.», c’est bien parce que ce qui a le plus de valeur ne pourra jamais se vendre.

[Laurent Boyer, Floirac, septembre-décembre 2008]

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